Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/134

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tout autre, et il a ajouté à l’art des choses qui, jusqu’ici, paraissaient inexprimables et même indignes de l’art, — et qui, surtout avec des paroles, ne pouvaient être que mises en fuite et non pas saisies, — de même tous ces infiniment petits de l’âme qui forment en quelque sorte les écailles de sa nature amphibie, — car dans l’art de l’infiniment petit il est passé maître. Mais il ne veut pas de cette maîtrise ! Son caractère se plaît, tout au contraire, aux grands panneaux, à l’audacieuse peinture murale ! Il ne comprend pas que son esprit a un autre goût et un autre penchant, qu’il préférerait se blottir tranquillement dans les recoins de maisons en ruines : — c’est là que caché : caché à lui-même, il compose ses vrais chefs-d’œuvre, qui tous sont très courts, souvent seulement longs d’une seule mesure, — alors seulement il est supérieur, absolument grand et parfait. — Mais il ne le sait pas ! Il est trop vaniteux pour le savoir.

88.

Prendre la vérité au sérieux. — Prendre la vérité au sérieux ! De combien de façons différentes les hommes entendent ces paroles ! Ce sont les mêmes opinions, les mêmes modes de démonstration et d’examen qu’un penseur considère comme une étourderie lorsqu’il les met lui-même en pratique — il y a succombé, à sa honte, dans une heure de faiblesse — ces mêmes opinions qui peuvent inspirer à un artiste, lorsqu’il s’y heurte et vit avec elles pendant un certain temps, la conscience