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reuse, et toute espèce de doctrine ne la supporte pas. »

107.

Notre dernière reconnaissance envers l’art. — Si nous n’avions pas approuvé les arts et inventé cette façon de culte de l’erreur : la compréhension de l’universalité du non-vrai et du mensonge — cette compréhension de l’illusion et de l’erreur comme conditions du monde intellectuel et sensible — ne serait absolument pas supportable. La loyauté aurait pour conséquence le dégoût et le suicide. Or, à notre loyauté, s’oppose une puissance contraire qui nous aide à échapper à de pareilles conséquences : l’art, en tant que bonne volonté de l’illusion. Nous n’empêchons pas toujours notre regard d’arrondir et d’inventer une fin : alors ce n’est plus l’éternelle imperfection que nous portons sur le fleuve du devenir — alors nous nous imaginons porter une déesse, et ce service nous rend fiers et enfantins. En tant que phénomène esthétique, l’existence nous semble toujours supportable, et, au moyen de l’art, nous sont donnés l’œil et la main et avant tout la bonne conscience pour pouvoir créer, de par nous-mêmes, un pareil phénomène. Il faut de temps en temps nous reposer de nous-mêmes, en nous regardant de haut, avec le lointain de l’art, pour rire, pour pleurer sur nous ; il faut que nous découvrions le héros et aussi le fou que cache notre passion de la connaissance ; il faut, de ci de là, nous réjouir de notre folie pour pouvoir rester joyeux