Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/248

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morale et parlez du matin au soir du bonheur de la vertu, du repos de l’âme, de la justice immanente et de l’équité : si vous en agissez ainsi, tout cela finira par avoir pour soi la popularité et le vacarme de la rue : mais alors, à force de manier toutes ces bonnes choses, l’or en sera usé, et plus encore : tout ce qu’elles contiennent d’or se sera transformé en plomb. Vraiment vous vous entendez à appliquer l’art contraire à celui des alchimistes, pour démonétiser ce qu’il y a de plus précieux ! Servez-vous une fois, à titre d’essai, d’une autre recette pour ne pas réaliser l’opposé de ce que vous vouliez atteindre : niez ces bonnes choses, retirez-leur l’approbation de la foule et le cours facile, faites-en de nouveau les pudeurs cachées des âmes solitaires, dites : la morale est quelque chose d’interdit ! Peut-être gagnerez-vous ainsi pour ces choses l’espèce d’hommes qui seule importe, je veux dire l’espèce héroïque. Mais alors il faudra qu’elles aient en elles de quoi éveiller la crainte, et non pas, comme jusqu’à présent, de quoi produire le dégoût ! N’aurait-on pas envie de dire aujourd’hui, par rapport à la morale, comme Maître Eckardt : « Je prie Dieu qu’il me fasse quitte de Dieu ! »

293.

Notre atmosphère. — Nous le savons fort bien : pour celui qui jette un regard sur la science, seulement en passant, à la façon des femmes et malheureusement aussi de beaucoup d’artistes : la sévérité qu’il faut mettre au service de la science, cette