Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/258

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valeur que dans le monde actuel n’en a pas par soi-même, selon sa nature, — la nature est toujours sans valeur : — on lui a une fois donné et attribué une valeur, et c’est nous qui avons été les donateurs, les attributeurs ! C’est seulement nous qui avons créé le monde qui intéresse l’homme ! — Mais c’est précisément la science de ceci qui nous manque, et si nous la saisissons pour un instant, aussitôt elle nous échappe l’instant après : nous méconnaissons notre meilleure force, et nous nous estimons d’un degré trop bas, nous autres contemplatifs, — nous ne sommes ni aussi fiers, ni aussi heureux que nous pourrions l’être.

302.

Danger des plus heureux. — Avoir des sens subtils et un goût fin ; être habitué aux choses de l’esprit les plus choisies et les meilleures, comme à la nourriture la plus vraie et la plus naturelle ; jouir d’une âme forte, intrépide et audacieuse ; traverser la vie d’un œil tranquille et d’un pas ferme, être toujours prêt à l’extrême comme à une fête, plein du désir des mondes et des mers inexplorés, des hommes et des dieux inconnus ; écouter toute musique joyeuse, comme si, à l’entendre, des hommes braves, soldats et marins, se permettaient un court repos et une courte joie, et dans la profonde jouissance du moment seraient vaincus par les larmes, et par toute la rouge mélancolie du bonheur, qui donc ne désirerait pas que tout ceci fût son partage, son état ! Ce fut le bonheur