Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/302

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cœur en déborde de reconnaissance, d’étonnement, d’appréhen­sion et d’attente, — enfin l’horizon nous semble de nouveau libre, en admettant même qu’il ne soit pas clair, — enfin nos vaisseaux peuvent de nouveau mettre à la voile, voguer au-devant du danger, tous les coups de hasard de celui qui cherche la connaissance sont de nouveau permis ; la mer, notre pleine mer, s’ouvre de nouveau devant nous, et peut-être n’y eut-il jamais une mer aussi « pleine ». —

344.

De quelle manière, nous aussi, nous sommes encore pieux. — On dit, à bon droit, que, dans le domaine de la science, les convictions n’ont pas droit de cité : ce n’est que lorsqu’elles se décident à s’abaisser à la modestie d’une hypothèse, d’un point de vue expérimental provisoire, d’un artifice de régulation, que l’on peut leur accorder l’entrée et même une certaine valeur dans le domaine de la connaissance, — à une condition encore, c’est qu’on les mette sous la surveillance de la police, de la police de la méfiance bien entendue. — Mais cela n’équi­vaut-il pas à dire : ce n’est que lorsque la conviction cesse d’être une conviction que l’on peut lui concéder l’entrée dans la science ? La discipline de l’esprit scientifique ne commencerait-elle pas alors seulement que l’on ne se permet plus de convictions ?… Il en est probablement ainsi. Or, il s’agit encore de savoir si, pour que cette discipline puisse commencer, une conviction n’est pas indis-