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Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/331

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mier plan, — cette croyance des Athéniens que l’on remarque pour la première fois à l’époque de Périclès, cette croyance des Américains d’aujourd’hui qui veut, de plus en plus, devenir aussi une croyance européenne : des époques où l’individu est persuadé qu’il est capable de faire à peu près toute chose, qu’il est à la hauteur de presque toutes les tâches, où chacun essaie avec soi-même, improvise, essaie à nouveau, essaie avec plaisir, où toute nature cesse et devient art… Ce ne fut que lorsque les Grecs furent entrés dans cette croyance au rôle — une croyance d’artiste si l’on veut — qu’ils traversèrent, comme l’on sait, degré par degré, une transformation singulière qui n’est pas digne d’imitation à tous les points de vue : ils devinrent véritablement des comédiens ; comme tels ils fascinèrent, ils surmontèrent le monde entier et, pour finir même, la ville qui avait « vaincu le monde » (car c’est le Grœculus histrio qui a vaincu Rome et non pas, comme les innocents ont l’habitude de le dire, la culture grecque…). Mais ce qui provoque ma crainte, ce que l’on peut déjà constater aujourd’hui, pour peu que l’on ait envie de le constater, c’est que nous autres, hommes modernes, nous nous trouvons déjà tout à fait sur la même voie ; et chaque fois que l’homme commence à découvrir en quelle mesure il joue un rôle, en quelle mesure il peut être comédien, il devient comédien… Alors se développe une nouvelle flore et une nouvelle faune humaines qui, en des époques plus fixes et plus restreintes, ne peuvent pas croître — ou bien, du moins, demeurent « en bas », mises au ban de