Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/334

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philosophes seraient-ils peut-être même contraires au besoin de l’« âme allemande » ? Bref, les philosophes allemands ont-ils vraiment été — des Allemands philosophes ? — Je rappelle trois cas. D’abord l’incomparable clairvoyance de Leibniz qui lui fit avoir raison, non seulement contre Descartes, mais encore contre toute philosophie venue avant lui, — lorsqu’il reconnut que la connaissance n’est qu’un accident de la représentation, et non un attribut nécessaire et essentiel de celle-ci, que, ce que nous appelons conscience, loin d’être la conscience elle-même, n’est donc qu’une condition de notre monde intellectuel et moral (peut-être une condition maladive) : — il y a-t-il, à cette pensée dont la profondeur, aujourd’hui encore, n’est pas épuisée complètement, quelque chose qui soit allemand ? Existe-t-il une raison pour supposer qu’un Latin ne serait pas arrivé facilement à ce renversement de l’évidence ? Souvenons-nous, en second lieu, de l’énorme point d’interrogation que Kant plaça près de l’idée de « causalité », — non pas que, comme Hume, il ait en général douté du droit de celle-ci : il commença, au contraire, par délimiter, avec précaution, le domaine au milieu duquel cette idée a généralement un sens (aujourd’hui encore on n’en a pas fini de cette délimitation). Prenons en troisième lieu l’étonnante trouvaille de Hegel, qui passa délibérément à travers toutes les habitudes logiques, bonnes et mauvaises, lorsqu’il osa enseigner que les idées spécifiques se développent l’une par l’autre : un principe par quoi, en Europe, les esprits furent préparés au dernier grand mouve-