Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/337

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cond d’une éducation de deux mille ans dans le sens de la vérité, qui finalement s’interdit le mensonge de la foi en Dieu… On voit ce qui a en somme triomphé du Dieu chrétien : c’est la morale chrétienne elle-même, la notion de sincérité appliquée avec une rigueur toujours croissante, c’est la conscience chrétienne aiguisée dans les confessionnaux et qui s’est transformée jusqu’à devenir la conscience scientifique, la propreté intellectuelle à tout prix. Considérer la nature comme si elle était une preuve de la bonté et de la providence divines ; interpréter l’histoire à l’honneur d’une raison divine, comme preuve constante d’un ordre moral de l’univers et de finalisme moral ; interpréter notre propre destinée, ainsi que le firent si longtemps les hommes pieux, en y voyant partout la main de Dieu, qui dispense et dispose toute chose en vue du salut de notre âme : voilà des façons de penser qui sont aujourd’hui passées, qui ont contre elles la voix de notre conscience, qui, au jugement de toute conscience délicate, passent pour inconvenantes, déshonnêtes, pour mensonge, féminisme, lâcheté, — et cette sévérité, plus que toute autre chose, fait de nous de bons Européens, des héritiers de la plus longue et de la plus courageuse victoire sur soi-même qu’ait remportée l’Europe. Lorsque nous rejetons ainsi l’interprétation chrétienne, condamnant le « sens » qu’elle donne comme un faux monnayage, nous sommes saisis immédiatement et avec une insistance terrible, par la question schopenhauérienne : L’existence n’a-t-elle donc en général point de sens ? — une question qui aura besoin de