Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/367

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sommes-nous jamais plaints d’être mal compris, méconnus, con­fondus, calomniés, d’être mal entendus et de ne l’être point ? Cela précisément sera notre destinée — hélas ! longtemps encore, disons, pour être modestes, jusqu’en 1901 — c’est là aussi notre distinction ; nous ne nous estimerions pas assez nous-mêmes si nous souhaitions qu’il en fût autrement. Nous prêtons à confusion — le fait est que nous grandissons nous-mêmes, nous changeons sans cesse, nous rejetons notre vieille écorce, nous faisons encore peau neuve à chaque printemps, nous devenons toujours plus jeunes, plus à venir, plus hauts et plus forts, nous enfonçons nos racines avec toujours plus de force dans les profondeurs — dans le Mal, — tandis qu’en même temps nous embrassons le ciel, avec plus d’amour, de nos bras toujours plus vastes, aspirant la lumière du ciel toujours plus avidement, avec toutes nos branches et toutes nos feuilles. Nous grandissons, comme les arbres — cela est difficile à comprendre, aussi difficile à compren­dre que la vie ! — nous grandissons, non à un seul endroit, mais partout, non dans une seule direction, mais autant par en haut que par en bas, à l’intérieur et à l’extérieur, — notre force pousse en même temps dans le tronc, les branches et les racines, nous ne sommes plus du tout libres de faire quelque chose séparément, d’être quelque chose séparément… Car tel est notre sort : nous grandis­sons en hauteur ; en admettant que ce soit là notre destinée néfaste — car nous habitons toujours plus près de la foudre ! — eh bien ! nous n’en tenons pas