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Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/371

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Avant tout il ne faut pas vouloir débarrasser l’existence de son caractère multiple : c’est ce qu’exige le bon goût, Messieurs, le goût du respect avant tout, — ce qui dépasse votre horizon. Que seule soit vraie une interprétation du monde où vous soyez dans le vrai, où l’on puisse faire des recherches scientifiques (vous voulez au fond dire mécaniques ? ) et continuer à travailler selon vos principes, une interprétation qui admet que l’on compte, que l’on calcule, que l’on pèse, que l’on regarde, que l’on touche, et pas autre chose, c’est là une balourdise et une naïveté, en admettant que ce ne soit pas de la démence et de l’idiotie. Ne semblerait-il pas, par contre, très probable que ce qu’il y a de plus superficiel et de plus extérieur à l’existence, — ce qu’il y a de plus apparent, sa croûte et sa matérialisation — pourrait être saisi en premier ? peut-être même exclusivement ? Une interprétation « scientifique » du monde, comme vous l’entendez, pourrait être par conséquent encore une des interprétations du monde les plus stupides, c’est-à-dire les plus pauvres de sens : ceci dit à l’oreille et mis sur la conscience de messieurs les mécanistes qui aujourd’hui aiment à se mêler aux philosophes, et qui s’imaginent absolument que la mécanique est la science des lois premières et dernières, sur lesquelles, comme sur un fondement, toute existence doit être édifiée. Cependant, un monde essentiellement mécanique serait essentiellement dépourvu de sens ! En admettant que l’on évalue la valeur d’une musique d’après ce qu’elle est capable de compter, de calculer, de mettre en formules — combien