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LE GAI SAVOIR

— autrement ils n’auraient point droit à leur pathos démesuré : ils le savent fort bien. C’est pourquoi ils s’emparent avidement d’une philosophie de la morale qui prêche un impératif catégorique quelconque, ou bien ils s’assimilent un beau morceau de religion, comme fit par exemple Mazzini. Parce qu’ils désirent que l’on ait absolument confiance en eux, il faut qu’ils commencent par avoir en eux-mêmes une confiance absolue, en vertu d’un dernier commandement quelconque, indiscutable et sublime sans condition, d’un commandement dont ils se sentent les serviteurs et les instruments et voudraient se faire reconnaître comme tels. Nous trouvons là les adversaires les plus naturels et souvent très influents de l’émancipation morale et du scepticisme, mais ils sont rares. Il y a par contre une classe très nombreuse de ces adversaires, partout où l’intérêt enseigne la soumission, tandis que la réputation et l’honneur semblent l’interdire. Celui qui se sent déshonoré à la pensée qu’il est l’instrument d’un prince, d’un parti, d’une secte, ou même d’une puissance d’argent — par exemple en tant que descendant d’une famille ancienne et fière — mais qui veut justement être cet instrument ou bien est forcé de l’être, en face de lui-même et de l’opinion publique, celui-là aura besoin de principes pathétiques que l’on peut avoir sans cesse à la bouche : — des principes d’une obligation absolue à quoi l’on peut se soumettre et se montrer soumis sans honte. Toute servilité un peu subtile tient à l’impératif catégorique et se montre l’ennemie mortelle de tous ceux qui veulent enlever au devoir son caractère ab-