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LE GAI SAVOIR

d’une autre (c’est-à-dire qui sont habitués à penser à nous comme à leur cause) ; nous voulons augmenter leur puissance puisque de cette façon nous augmentons la nôtre, ou bien nous voulons leur montrer l’avantage qu’il y a à être sous notre domination, — ainsi ils se satisferont davantage de leur situation et seront plus hostiles et plus prêts à la lutte contre les ennemis de notre puissance. Que nous fassions des sacrifices soit à faire le bien, soit à faire le mal, cela ne change pas la valeur définitive de nos actes ; même si nous y apportions notre vie comme fait le martyr en faveur de son église, ce serait un sacrifice apporté à notre besoin de puissance, ou bien en vue de conserver notre sentiment de puissance. Celui qui sent qu’il « est en possession de la vérité » combien d’autres possessions ne laisse-t-il pas échapper pour sauver ce sentiment ! Que de choses ne jette-t-il par par-dessus bord pour se maintenir « en haut », — c’est-à-dire au-dessus de ceux qui sont privés de la vérité ! Certainement la condition où nous nous trouvons pour faire le mal est rarement aussi infiniment agréable que celle où nous nous trouvons pour faire du bien, — c’est là un signe qu’il nous manque encore de la puissance, ou bien c’est la révélation de l’humeur que nous cause cette pauvreté, c’est l’annonce de nouveaux dangers et de nouvelles incertitudes pour notre capital de puissance et notre horizon est voilé par ces précisions de vengeance, de raillerie, de punition, d’insuccès. Ce n’est que pour les hommes les plus irritables et les plus vides du sentiment de puissance qu’il peut