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Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/92

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de cela : je vois partout, dans la vie et au théâtre, et non pour le moins dans tout ce que l’on écrit, le sentiment du bien-être que causent toutes les irruptions grossières, tous les gestes vulgaires de la passion : on exige maintenant une certaine convention du caractère passionné — mais à aucun prix on ne voudrait la passion elle-même ! Malgré cela on finira par l’atteindre et nos descendants posséderont une sauvagerie véritable, et non pas seulement la sauvagerie et la grossièreté des manières.

48.

Connaissance de la misère. — Peut-être les hommes, tout aussi bien que les époques, ne sont-ils séparés les uns des autres, par rien autant que par les degrés différents de connaissance de la misère qu’ils ont : misère de l’âme tout aussi bien que misère du corps. Pour ce qui en est de ces dernières misères, nous autres hommes d’aujourd’hui, malgré nos faiblesses et nos infirmités, à cause de notre manque d’expériences sérieuses, sommes peut-être tous devenus des ignorants et des fantaisistes : en comparaison d’une époque de la crainte — l’époque la plus longue de l’humanité — où l’individu avait à se protéger lui-même de la violence, et était forcé, à cause de cela, à être violent lui-même. Alors l’homme traversait une dure école de souffrances physiques et de privations, et trouvait, dans une certaine cruauté à l’égard de soi-même, dans un exercice volontaire de la douleur, un moyen nécessaire à sa conservation ; alors