Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/95

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néreux — du moins l’espèce d’hommes généreux qui a toujours fait le plus d’impression — me paraît être l’homme d’une extrême soif de vengeance qui voit, tout proche de lui, la possibilité d’un assouvissement et qui, vidant la coupe jusqu’à sa dernière goutte, se satisfait déjà en imagination, de sorte qu’un énorme et rapide dégoût suit cette débauche ; — il s’élève alors « au-dessus de lui-même », comme on dit, il pardonne à son ennemi, il le bénit même et le vénère. Avec cette violation de son moi, avec cette raillerie de son instinct de vengeance, tout à l’heure encore si puissant, il ne fait que céder à un nouvel instinct qui vient de se manifester puissamment en lui (le dégoût), et cela avec la même débauche impatiente qu’il avait mise tout à l’heure à prélever dans son imagination, à épuiser, en quelque sorte, la joie de la vengeance. Il y a dans la générosité le même degré d’égoïsme que dans la vengeance, mais cet égoïsme est d’une autre qualité.

50.

L’argument de l’isolement. — Le reproche de la conscience, même chez les plus consciencieux, est faible à côté du sentiment : « Telle et telle chose est contraire aux bonnes mœurs de ta société. » Un regard froid, une bouche crispée, chez ceux parmi lesquels et pour lesquels on a été élevé, inspirera la crainte même au plus fort. Que craint-on là en somme ? L’isolement ! car c’est là un argument qui détruit même les meilleurs arguments en faveur d’une personne ou d’une chose ! — C’est