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L’ESPRIT RELIGIEUX

la distance, et des devoirs supérieurs aux devoirs royaux. La religion sert aussi de guide à une partie des sujets, et leur donne l’occasion de se préparer à dominer et à commander un jour. Ce sont ces classes plus fortes qui se développent lentement, chez qui, grâce à des mœurs favorables, la force de volonté et le caractère s’accentuent sans cesse. La religion leur offre des séductions assez grandes pour suivre les voies de la spiritualité supérieure, pour éprouver les sentiments de la victoire sur soi-même, du silence et de la solitude. L’ascétisme et le spiritualisme sont des moyens d’éducation et d’anoblissement presque indispensables, lorsqu’une race veut se rendre maître de ses origines plébéiennes et s’élever jusqu’à la souveraineté future. Aux hommes ordinaires, enfin, au plus grand nombre, à ceux qui sont là pour servir, pour être utiles à la chose publique, et qui n’ont le droit d’exister que s’ils se soumettent à ces conditions, la religion procure un inappréciable contentement, leur fait accepter leur situation, leur donne le bonheur et la paix du cœur, anoblit leur servitude, leur fait aimer leurs semblables. C’est pour eux une sorte de transformation, d’embellissement et de justification de la vie quotidienne, de toute la bassesse, de toute la pauvreté presque bestiale de leur âme. La religion et l’importance religieuse de la vie jettent un éclat ensoleillé sur de pareils êtres, tourmentés sans cesse ; elle rend supportable à leurs yeux leur