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LES PRÉJUGÉS DES PHILOSOPHES

voie tracée. Derrière la logique elle-même et derrière l’autonomie apparente de ses mouvements, il y a des évaluations de valeurs, ou, pour m’exprimer plus clairement, des exigences physiques qui doivent servir au maintien d’un genre de vie déterminé. Affirmer, par exemple, que le déterminé a plus de valeur que l’indéterminé, l’apparence moins de valeur que la « vérité » : de pareilles évaluations, malgré leur importance régulative pour nous, ne sauraient être que des évaluations de premier plan, une façon de niaiserie, utile peut-être pour la conservation d’êtres tels que nous. En admettant, bien entendu, que ce n’est pas l’homme qui est la « mesure des choses »…

4.

La fausseté d’un jugement n’est pas pour nous une objection contre ce jugement. C’est là ce que notre nouveau langage a peut-être de plus étrange. Il s’agit de savoir dans quelle mesure ce jugement accélère et conserve la vie, maintient et même développe l’espèce. Et, par principe, nous inclinons à prétendre que les jugements les plus faux (dont les jugements synthétiques a priori font partie) sont, pour nous, les plus indispensables, que l’homme ne saurait exister sans le cours forcé des valeurs logiques, sans mesurer la réalité à l’étiage du monde purement fictif de l’inconditionné, de l’identique à soi, sans une falsification constante du