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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

qu’ils sont en désaccord sur le degré de valeur, sur la hiérarchie des biens communément reconnus, elle se révèle davantage encore dans ce que les hommes considèrent réellement comme la propriété et la possession d’un bien. En ce qui concerne la femme, par exemple, un homme modeste se satisfera de la possession de son corps et de la jouissance sexuelle, signes suffisants qu’il la possède en propre. Un autre, dans son désir plus méfiant et plus exigeant, voit ce qu’une telle propriété a d’incertain et d’illusoire et exige des preuves plus subtiles ; il veut, avant tout, savoir, non seulement si la femme se donne à lui, mais aussi si elle renonce, en sa faveur, à ce qu’elle a ou à ce qu’elle aimerait avoir ; c’est de cette façon, seulement, qu’elle lui semble « possédée ». Mais alors un troisième ne sera pas encore au bout de sa défiance et de son goût accapareur ; il se demandera si la femme, lorsqu’elle renonce à tout en sa faveur, ne le fait pas pour un fantôme de lui-même. Il veut avant tout être connu à fond, et, pour être aimé, il ose se laisser deviner. Il ne sent l’aimée en sa complète possession que quand elle ne se méprend plus sur son compte, quand elle l’aime tout autant pour son satanisme, son avidité insatiable et cachée, que pour sa bonté, sa patience et son esprit. Celui-là voudrait posséder un peuple, et tous les tours d’adresse d’un Cagliostro et d’un Catilina lui conviendront à cette fin. Un autre, avec une soif de