Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
HISTOIRE NATURELLE DE LA MORALE

l’individu en dehors et bien au-dessus de la moyenne et des bas fonds de la conscience du troupeau, — qui font périr la notion d’autonomie dans la communauté, et détruisent chez celle-ci la foi en elle-même, ce que l’on peut appeler son épine dorsale. Voilà pourquoi ce seront ces instincts que l’on flétrira et que l’on calomniera le plus. L’intellectualité supérieure et indépendante, la volonté de solitude, la grande raison apparaissent déjà comme des dangers ; tout ce qui élève l’individu au-dessus du troupeau, tout ce qui fait peur au prochain s’appelle dès lors méchant. L’esprit tolérant, modeste, soumis, égalitaire, qui possède des désirs mesurés et médiocres, se fait un renom et parvient à des honneurs moraux. Enfin, dans les conditions très pacifiques, l’occasion se fait de plus en plus rare, de même que la nécessité qui impose au sentiment la sévérité et la dureté ; et, dès lors, la moindre sévérité, même en justice, commence à troubler la conscience. Une noblesse hautaine et sévère, le sentiment de la responsabilité de soi, viennent presque à blesser et provoquent la méfiance. L’« agneau », mieux encore le « mouton » gagnent en considération. Il y a un point de faiblesse maladive et d’affadissement dans l’histoire de la société, où elle prend parti même pour son ennemi, pour le criminel, et cela sérieusement et honnêtement. Punir lui semble parfois injuste ; il est certain que l’idée de « punition » et « d’obligation de punir » lui fait mal et