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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

troupeau et flatte ces désirs, on en est venu à trouver, même dans les institutions politiques et sociales, une expression toujours plus visible de cette morale : le mouvement démocratique continue l’héritage du mouvement chrétien. Que son allure soit cependant trop lente et trop endormie pour les impatients, pour les malades, pour les monomanes de cet instinct, c’est ce que prouvent les hurlements toujours plus furieux, les grincements de dents toujours moins dissimulés des anarchistes, ces chiens qui rôdent aujourd’hui à travers les rues de la culture européenne, en opposition, semble-t-il, avec les démocrates pacifiques et laborieux, les idéologues révolutionnaires, plus encore avec les philosophâtres maladroits, les enthousiastes de fraternité qui s’intitulent socialistes et qui veulent la « société libre », mais en réalité tous unis dans une hostilité foncière et instinctive contre toute forme de société autre que le troupeau autonome (qui va jusqu’à refuser les idées de « maître » et de « serviteur » — « ni Dieu ni maître », dit une formule socialiste —) ; unis dans une résistance acharnée contre toute prétention individuelle, contre tout droit particulier, contre tout privilège (c’est-à-dire, en dernier lieu, contre tous les droits : car, lorsque tous sont égaux, personne n’a plus besoin de « droits » —) ; unis dans la méfiance envers la justice répressive (comme si elle était une violence contre des faibles, une injustice à l’égard d’un être qui