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NOUS AUTRES SAVANTS

d’un mysticisme déguisé et d’une traîtreuse limitation de la connaissance, ou bien c’était le mépris de certains philosophes qui, involontairement, se changeait en un mépris général embrassant toute la philosophie. Enfin, le plus souvent je trouvais chez le jeune savant, sous le dédain orgueilleux de la philosophie, la mauvaise influence d’un seul philosophe à qui l’on avait bien refusé toute obéissance quant à ses vues générales, mais sans échapper à la tyrannie de son appréciation dédaigneuse des autres philosophes. Et le résultat de cet état d’esprit se traduisait par un mauvais vouloir général à l’égard de toute philosophie. (Telle me semble, par exemple, l’influence tardive de Schopenhauer sur la nouvelle Allemagne. Par sa rage inintelligente contre Hegel, il est arrivé à séparer la dernière génération d’Allemands de son lien avec la culture allemande, culture qui, tout bien examiné, avait produit une élévation et une subtilité divinatoire de l’esprit historique. Mais sur ce chapitre Schopenhauer était pauvre, irréceptif et anti-allemand jusqu’au génie.) Tout bien considéré, et si l’on envisage les choses au point de vue général, il se peut que ce soit avant tout le côté « humain, trop humain », c’est-à-dire la pauvreté des philosophes modernes qui ait nui le plus radicalement au respect de la philosophie et ouvert la porte aux instincts plébéiens. Qu’on se rende donc compte combien notre monde moderne