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Nos vertus ? — Il est vraisemblable que nous aussi, nous avons encore nos vertus, bien que ce ne soient plus, et avec raison, ces vertus candides et massives que nous honorions chez nos grands-pères, tout en les tenant un peu à distance. Nous autres Européens d’après-demain, premiers-nés du vingtième siècle, — avec toute notre curiosité dangereuse, notre complication et notre art du déguisement, notre cruauté souple et pour ainsi dire édulcorée de l’esprit et des sens, — nous n’aurons probablement pour vertus, si tant est que nous en devions avoir, que celles qui ont le mieux su s’accommoder avec nos penchants les plus secrets et les plus intimes, avec nos besoins les plus intenses. Eh bien, cherchons-les donc dans nos labyrinthes ! — où tant de choses, on le sait bien, s’égarent et si souvent se perdent. Y a-t-il rien de plus beau que de se livrer à la recherche de ses propres vertus ? N’est-ce pas presque déjà : croire en sa propre vertu ? Et cette « foi en sa vertu » — n’est-ce pas, en somme, ce qu’on appelait jadis la « bonne conscience », ce vénérable concept en queue-de-rat que nos grands-pères portaient der-