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LES PRÉJUGÉS DES PHILOSOPHES

charretée de belles possibilités. Il se peut même qu’il y ait des puritains fanatiques de la conscience qui préfèrent mourir sur la foi d’un néant assuré que sur la probabilité de quelque chose d’incertain. Or, c’est là du nihilisme et l’indice d’une âme désespérée et fatiguée jusqu’à la mort : quelle que soit l’apparence de bravoure que veut se donner une pareille attitude. Il semble cependant qu’il en est autrement chez les penseurs plus vigoureux, qui sont encore animés d’une vitalité plus abondante et plus avide de vivre. Tandis que ceux-ci prennent parti contre l’apparence et prononcent déjà avec orgueil le mot de « perspective », tandis qu’ils estiment aussi peu le témoignage de leur propre corps que celui de l’apparence qui affirme que la terre est immobile, renonçant ainsi, avec une visible insouciance, à l’acquisition la plus certaine (car qu’affirme-t-on aujourd’hui avec plus de certitude, si ce n’est son corps ?) — qui sait, si, au fond, ils ne veulent pas reconquérir quelque chose que l’on possédait jadis plus sûrement encore, quelque chose qui fît partie du vieil apanage de la foi, peut-être l’« âme immortelle », peut-être le « Dieu ancien », bref, des idées qui fourniraient une base de la vie plus solide, c’est-à-dire meilleure et plus joyeuse que la base des « idées modernes » ? Il y a là de la méfiance à l’égard de ces idées modernes, il y a de l’incrédulité au sujet de tout ce qui a été édifié hier et aujourd’hui ; il s’y mêle peut-être un certain dégoût