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LES PRÉJUGÉS DES PHILOSOPHES

fier d’avoir découvert, dans l’homme, une nouvelle faculté du jugement synthétique a priori. En admettant qu’il ait fait erreur sur ce point, le développement et la floraison rapide de la philosophie allemande ne tiennent pas moins à cette fierté et au zèle que tous les savants plus jeunes mettent à découvrir, si possible, quelque chose qui les enorgueillît davantage encore, — à découvrir, en tous les cas, de « nouvelles facultés » ! — Mais réfléchissons, il en est grand temps ! Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? se demanda Kant. Et que répondit-il en somme ? Au moyen d’une faculté. Mais il ne se contenta pas, malheureusement, d’une réponse en trois mots. Il fut prolixe, solennel, il fit étalage de profondeur et d’amphigouri germaniques, au point que l’on oublia la joyeuse niaiserie allemande qu’il y a au fond d’une pareille réponse. Mieux encore, on ne se sentit plus de joie devant cette découverte d’une faculté nouvelle, et l’enthousiasme atteignit son comble lorsque Kant ajouta une nouvelle découverte, celle de la faculté morale de l’homme ; — car alors les Allemands étaient encore moraux et ne s’occupaient en aucune façon de politique réaliste. — Et ce fut la lune de miel de la philosophie allemande : tous les jeunes théologiens du Séminaire de Tubingue fouillèrent les buissons pour y découvrir encore des « facultés ». Que ne découvrit-on point, durant cette période encore si juvénile de la philosophie allemande, cette