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Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/255

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PEUPLES ET PATRIES

patriotisme plein de courage, un bond et un retour à de vieilles amours et de vieilles étroitesses — je viens d’en donner une preuve, — des heures d’effervescence nationale, d’angoisse patriotique, des heures où bien d’autres sentiments antiques nous submergent. Des esprits plus lourds que nous mettront plus de temps à en finir de ce qui chez nous n’occupe que quelques heures et se passe en quelques heures : pour les uns, il faut la moitié d’une année, pour les autres la moitié d’une vie humaine, selon la rapidité de leurs facultés d’assimilation et de renouvellement. Je saurais même me figurer des races épaisses et hésitantes, qui, dans notre Europe hâtive, auraient besoin de demi-siècles pour surmonter de tels excès de patriotisme atavique et d’attachement à la glèbe, pour revenir à la raison, je veux dire au « bon européanisme », tandis que mon imagination s’étend sur cette possibilité, il m’arrive d’être témoin de la conversation de deux vieux « patriotes » : ils avaient évidemment tous deux l’oreille dure et n’en parlaient que plus haut : « Celui-là[1] ne s’entend pas plus en philosophie que n’importe quel paysan ou qu’un étudiant de corporation — disait l’un d’eux ; il est encore bien innocent. Mais qu’importe aujourd’hui ! nous sommes à l’époque des masses, les masses se prosternent devant tout ce qui se présente en masse, en

  1. Il s’agit de Bismarck. — N.d.T.