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LES PRÉJUGÉS DES PHILOSOPHES

a priori sont-ils possibles ? » par une autre question : « Pourquoi la croyance en de pareils jugements est-elle nécessaire ? » C’est-à-dire qu’il est enfin temps de comprendre que, pour la conservation des êtres de notre espèce, ces jugements doivent être tenus pour vrais, ce qui ne les empêcherait d’ailleurs pas d’être des jugements faux. Ou, pour parler plus clairement, pour dire les choses grossièrement et radicalement : les jugements synthétiques a priori ne devraient pas du tout être « possibles ». Nous n’avons aucun droit sur eux, dans notre bouche ce ne sont que des jugements faux. Cependant, il était nécessaire qu’ils fussent tenus pour vrais, telle une croyance de premier plan, comme un aspect qui fait partie de l’optique même de la vie. — Et, pour tenir compte enfin de l’énorme influence exercée dans toute l’Europe par la « philosophie allemande » — j’espère que l’on comprendra son droit aux guillemets, — on ne saurait douter qu’une certaine virtus dormitiva y ait participé : on était ravi, parmi les nobles désœuvrés de toutes les nations, moralistes, mystiques, artistes, chrétiens aux trois quarts et obscurantistes politiques, ravi de posséder, grâce à la philosophie allemande, un contrepoison pour combattre le sensualisme tout-puissant qui, du siècle dernier, avait débordé dans celui-ci, bref — « sensus assoupire »…