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QU’EST-CE QUI EST NOBLE ?

valeurs par lui-même, il ne s’attribuait pas d’autre valeur que celle que lui prêtaient ses maîtres (créer des valeurs, c’est par excellence le droit des maîtres). Sans doute il faut attribuer à un prodigieux atavisme le fait que l’homme du commun, aujourd’hui encore, attend que l’on se soit fait une opinion sur lui, pour s’y soumettre ensuite instinctivement ; et il se soumet non seulement à une « bonne » opinion, mais encore à une opinion mauvaise et injuste (que l’on songe par exemple à la grosse part d’appréciation et de dépréciation de soi que les femmes pieuses apprennent de leur confesseur et qu’en général le chrétien croyant apprend de son église). En réalité, grâce à la lente marche en avant de l’ordre démocratique (et de ce qui est en cause, le mélange des races dominantes et des races esclaves), le penchant, jadis solide et rare, de s’appliquer à soi-même une valeur propre et d’être « bien pensant » au sujet de soi, sera maintenant de plus en plus encouragé et se développera toujours davantage. Mais ce penchant aura toujours contre lui une tendance plus ancienne, plus large, plus essentiellement vitale, et, dans le phénomène de la « vanité », cette tendance plus ancienne se rendra maîtresse de la plus récente. Le vaniteux se réjouit de toute bonne opinion que l’on a de lui (sans se mettre au point de vue de l’utilité de cette opinion, sans prendre en considération son caractère vrai ou faux), comme d’ailleurs il souffre aussi de toute