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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

amour, totalement puissance d’amour, — qui eût pitié de l’amour humain parce que cet amour est si misérable, si ignorant ! Celui qui sent ainsi, qui connaît ainsi l’amour — cherche la mort. Mais pourquoi poursuivre des choses aussi douloureuses ? En supposant qu’on n’y soit pas obligé. —

270.

L’orgueil et le dégoût intellectuel chez l’homme qui a profondément souffert — le rang est déjà presque déterminé par le degré de souffrance qu’un homme peut endurer, — la certitude terrible, dont l’homme est tout imprégné et coloré, la certitude de savoir plus, grâce à sa souffrance, que ne peuvent savoir les plus intelligents et les plus sages, de connaître des mondes lointains et effrayants dont « vous ne savez rien », d’y être « comme chez soi »… cet orgueil de la souffrance, orgueil spirituel et muet, cette fierté de l’élu par la connaissance, de l’« initié », de la victime presque sacrifiée, croit toutes formes de déguisement nécessaires pour se protéger du contact des mains importunes et compatissantes et en général de tout ce qui n’est pas son égal dans la souffrance. La profonde douleur rend noble ; elle sépare. Une des formes les plus délicates du déguisement c’est un certain épicurisme, une parade de hardiesse dans le goût, une affectation de prendre la douleur à la légère et de se défendre contre toute tristesse et toute profondeur. Il y a des