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L’ESPRIT RELIGIEUX

foi est toute différente de cette croyance de fidèle sujet, naïve et hargneuse, par laquelle un Luther, un Cromwell ou quelque autre barbare du Nord s’attachèrent à leur Dieu et à leur christianisme. Elle se retrouve bien plutôt dans la foi de Pascal, cette foi qui ressemble d’une façon épouvantable à un continuel suicide de la raison. C’était là une raison tenace et opiniâtre comme un ver rongeur, et on ne saurait l’assommer d’un seul coup. La foi chrétienne est dès l’origine un sacrifice : sacrifice de toute indépendance, de toute fierté, de toute liberté de l’esprit, en même temps servilité, insulte à soi-même, mutilation de soi. Il y a de la cruauté et du phénicisme religieux dans cette croyance, imposée à une conscience tendre, compliquée et très délicate : elle suppose que la soumission de l’esprit fait infiniment mal, que tout le passé et les habitudes d’un tel esprit se révoltent contre l’absurdissimum que représente, pour lui, une telle « foi ». Les hommes modernes, sur lesquels s’est usée la nomenclature chrétienne, ne ressentent plus ce qu’il y avait de terrible et de superlatif, pour le goût antique, dans le paradoxe de la formule « Dieu en croix ». Jamais et nulle part il n’y a plus eu jusqu’à présent une telle audace dans le renversement des idées, quelque chose d’aussi terrible, d’aussi angoissant et d’aussi problématique que cette formule : elle promettait une transmutation de toutes les valeurs antiques. — C’est l’Orient,