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IV

DÉSESPOIR


Le printemps de cette année 1865 fut splendide.

La quantité des personnes admises pendant l’hiver aux soirées de madame de Sauvetat s’était considérablement accrue.

Les mères regardaient comme un honneur la liberté d’amener leur fille chez la veuve.

Les jeunes femmes, tout heureuses de voir Jacques de près, ne se faisaient pas prier pour aller grossir le nombre des fidèles.

Du reste, Blanche recevait splendidement, et la plus charmante intimité régnait dans les petites réunions de la semaine.

Souvent, le soir, on ouvrait la porte des salons qui donnaient sur la terrasse ; la brise printanière entrait alors sous la vérandah, tandis qu’à l’ombre des grands cèdres noirs et sous les acacias odorants, la musique semblait plus douce aux jeunes filles, qui marchaient deux par deux, sans se parler.

Durant ces fêtes presque journalières, Jacques s’asseyait à l’écart, sur le même banc de pierre où Marianne lui avait laissé deviner le secret de son cœur.

Ce qui se passait autour de lui ne le préoccupait guère ; M. de Boutin surveillait Marguerite, dont la grâce calme et recueillie endormait ses inquiétudes ; le fiancé de Marianne ne s’apercevait ni de l’intérêt, ni des avances dont il était souvent l’objet ; les yeux perdus dans le vague, le front pensif, la lèvre contractée par une douleur qu’il maîtrisait à grand’peine, il s’enivrait de souvenirs et de regrets.