Page:Ninous - L Empoisonneuse.pdf/272

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À quinze ans, quel que soit le caractère que doit avoir plus tard une femme, elle ne pense ni ne réfléchit sérieusement encore. Elle accepte, elle subit, c’est tout. M. de Ferreuse est mort, paix à sa tombe !… Mais ce qu’a été ma vie auprès de lui, nul ne le saura ni ne le comprendra jamais ; il est donc inutile de constater des blessures si profondes, qu’après bien des années écoulées elles saignent encore.

Nous habitions Paris ; au milieu de mon isolement, de mes désespoirs, de mon ennui de vivre, Henry revint. Il était attaché à l’état-major de la place, il avait pas mal d’instants libres.

Nos anciennes relations, surtout nos liens étroits de parenté, l’autorisaient à fréquenter assidûment ma maison. Quel jour, à quelle époque de notre vie l’amitié fraternelle de notre jeunesse s’est-elle changée en un amour ardent, exclusif, infini ? Je ne puis pas le dire, je ne le sais pas.

Seulement une fois, il assista à une scène de violence telle, que la honte au front je ne savais que courber la tête ; il se leva pâle, les dents serrées, et s’avançant sur M. de Ferreuse : — Un mot de plus, dit-il, et je vous tue !

Et pendant que l’autre ricanait :

— J’ai le droit de vous parler ainsi, continua-t-il avec une si haute dignité qu’il le fit taire ; mon oncle est mort, et Aimée est ma sœur ; la maison de ma mère lui est toujours ouverte.

M. de Ferreuse craignant de voir échapper la fortune avec la femme, fit des excuses.

Henry, à cette époque, était un garçon froid, résolu, n’hésitant jamais, irrévocable dans ses décisions, entier dans ses affections comme dans ses haines.

Il demeura deux jours sans me parler de la singulière scène qu’il avait fait cesser.