Page:Ninous - L Empoisonneuse.pdf/55

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— Eh bien ? demanda M. Larrieu d’une voix brève.

— Eh bien, lorsque j’ai regardé le cadavre, il n’était même pas pâle ; au contraire, son teint était rosé, ses yeux à demi ouverts n’étaient pas vitreux, je ne l’avais jamais vu si beau.

Toutes les femmes, partagées entre l’admiration et l’épouvante, poussèrent un cri.

Les hommes hésitaient, ne sachant s’ils devaient se moquer ou croire, mais évidemment impressionnés par ce récit bizarre.

— Après, Annon, après  ? cria-t-on à la ronde.

— Mademoiselle Marianne était tellement bouleversée de cette scène, qu’elle ne se soutenait plus. Madame de Sauvetat n’avait pas voulu regarder son mari ; mais mademoiselle Marguerite, à la vue de son père lui souriant presque, se jeta sur lui en criant :

— Marianne, Marianne, je savais bien qu’il ne pouvait pas mourir sans m’avoir bénie ! Il vit, il vit !…

Mais aussitôt, hélas ! elle recula en poussant des cris épouvantables.

Il était bien mort, le pauvre homme ! Et le froid que sa petite avait trouvé sous ses lèvres ne lui avait pas laissé de doutes !

— Vous tous qui m’écoutez, dit-elle en finissant, trouvez-vous cela naturel ?

Quelques femmes se signèrent.

— C’est vrai, c’est vrai, Annon a vu un miracle ! se disait-on voix basse.

La vieille avait tranquillement repris son travail. Dans sa vie brisée, ce qu’elle croyait être un événement surnaturel ne pouvait même plus la toucher.

M. Larrieu, songeur, avait pris les pincettes, et sans se mêler aux conversations animées qu’avait provo-