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cents séduits par les jeux de l’esprit ? La démission réelle que voilent les protestations apparentes de la Philosophie est précisément efficace. Lorsqu’un penseur s’abstient d’aborder un sujet, il détourne l’attention de lui, il le diminue, il le repousse dans l’ombre où son docile public n’ira pas le chercher. On voit trop dans quel sens il est possible d’utiliser ce bouleversement des apparences, ce déplacement des importances relatives des objets. Ainsi pour un prêtre la pauvreté n’est pas un malheur, mais un mérite au regard de Dieu.

Ce genre de pensée mystificatrice est une activité négative. Réellement négative. Et non plus nulle. Il faudra enfin que nous répétions au sujet de la Philosophie le mémorable effort de Kant à propos des quantités négatives. Il faudra enfin que nous comprenions que ce jeu des pensées négatives ne se traduit point simplement par un zéro de pensée, mais par un retard réel, par une inversion, par une perte réelles. Il faudra enfin que nous saisissions que cette prudente Raison négative se traduit pour la vie des hommes par une irréparable mutilation, par un appauvrissement positif.

M. Parodi a écrit :

« Nous n’avons plus de doctrine officielle, et nul, j’imagine, ne le regrette. »[1]

Ainsi le fonctionnaire des pensées se défend de pensées commandées : personne n’avoue facilement des tâches de policier. Mais il vaudra la peine d’examiner quelque jour avec suite tout le mécanisme de diffusion de cette philosophie négative, qui offre les caractères exigibles d’une doctrine d’État. Pour parler sommairement, des philosophes, placés au sommet de la hiérarchie universitaire, produisent des ensembles d’idées.

  1. La philosophie contemporaine en France.