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victoire de la Marne et à la paix de Versailles. Dans l’univers de la Philosophie, l’élévation temporelle du président Masaryk traduisit le pouvoir spirituel de la philosophie bourgeoise.

Nous allons connaître des temps où cette grande Raison qui trouva dans Descartes et dans Kant ses titres et ses quartiers, qui établit les justifications rationnelles des propriétés mentales du citoyen et du bourgeois sera mise en déroute par des inquiétudes nouvelles. Elle ne suffira plus ni aux besoins spirituels des bourgeois perdus dans le monde qu’ils ont construit, ni aux besoins temporels de leur classe menacée par la révolution. Une classe ne consent pas à mourir sans faire appel à toutes ses ressources : il se produira des philosophies, il y aura de beaux jours pour les fabricants d’idées ; entre les cathartiques du néant et les exigences de l’ordre, on se demande ce que deviendront les idylles de la philosophie des Droits de l’Homme et les mystifications du Progrès. La philosophie présentement enseignée dans les Établissements de l’État ne paraîtra pas éternellement suffisante : ses traditions démocratiques, un certain air de libéralisme, de générosité et de bonne foi ne fourniront pas à la bourgeoisie attaquée les mots d’ordre, les mythes et les thèmes de propagande nécessaires à sa dernière défense et à sa dernière affirmation. Les vieux voiles paraîtront trop minces et d’un trop subtil dessin.

Mais cette philosophie aura justement alors accompli la tâche pour laquelle elle était édifiée, maintenir un voile de confiance, d’espoir dans les puissances de l’esprit, capable de tromper ceux-là mêmes de qui l’avenir exige la mort de la civilisation présente. Elle est un système d’illusions que l’histoire du siècle a formé et qui nie que ce monde puisse mourir.

Quand l’heure sera venue de désespérer de l’antique Raison, la Philosophie renoncera sans