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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/146

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non dans l’espérance impossible de l’éliminer mais pour en neutraliser le privilège décevant à l’aide d’une opération de coordination intellectuelle qui consiste à tenir compte de tous les centres de référence à la fois : il apprend à s’apercevoir lui-même au point de vue d’autrui comme il aperçoit autrui de son propre point de vue… Cette fonction complexe et subtile que la science einsteinienne met ainsi au cœur de l’intelligence humaine est exactement celle que nous avons vue à l’œuvre dans les Entretiens de Socrate. À aucun moment du dialogue, le monde moral ne procède d’un ordre préalable à la réflexion de l’homme et qui s’imposerait du dehors à l’individu ; les idées de la famille, de la cité y naissent en quelque sorte sous nos yeux, de l’effort d’intelligence par lequel l’individu, au lieu de considérer son action du point de vue égocentrique, qui est celui de l’impulsion instinctive, s’aperçoit lui-même lié à ses parents ou à ses concitoyens par un système de relations qui sont réciproques elles aussi mais non interchangeables. Un tel système ne peut être rationnellement défini par la pensée sans qu’elle y découvre la norme de justice qui en est le fondement nécessaire, sans qu’elle fasse de cette norme le centre du vouloir… L’homme socratique est une conscience, c’est-à-dire que l’action volontaire suit immédiatement, comme entraînée dans son progrès le mouvement de la réflexion rationnelle… Par cette impossibilité d’un écart entre la lumière de l’intelligence et la droiture de la volonté, nous affirmons que nous sommes, non des membres passifs, des sujets, dans la cité de Cécrops ou de Zeus, mais des êtres libres, pourvus de la dignité législative dans la République des Esprits. »

L. Brunschvicg, Progrès de la Conscience, pp. 720-22.


Il y a dans la philosophie contemporaine cette idée que le vrai est un facteur d’union et de communion. Le dialogue des savants fournit le modèle des relations humaines requis par une société qui identifie la moralité et la paix sociale. De là cette insistance à marquer la convergence des esprits, l’assimilation des esprits entre eux, chez un philosophe des sciences comme M. Lalande. Ils ne voient point que l’univers de la science ne comporte plus de combats humains, et qu’il est littéralement inimitable lorsqu’il s’agit de l’action. À côté de M. Brunschvicg, M. Parodi déclare : « Tous les hommes communient par la raison et c’est dans la raison seule que peut se fonder l’accord entre les esprits. » (nion pour la Vérité, fév.-mars 1919.) Ces philosophes semblent croire que tous les hommes mènent une vie contemplative et assise comme la leur. Mais les