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la terre voilent à tous les yeux et sans doute aux propres yeux des historiens la situation réelle de la pensée et les moteurs efficaces de son mouvement. Mais elles sont purement imaginaires. Chaque philosophe qui paraît, en dépit qu’il en ait, participe à l’actualisé impure de son temps.

Il y a un problème à résoudre en ce qui concerne la position séculière et mondaine de la Philosophie : il faudra expliquer comment un philosophe est actuel et comment il peut en paroles et en pensée ignorer son actualité. Il faudra rendre compte de l’illusion qui fait croire aux philosophes que l’éloignement de notre vallée de larmes est une marque d’authenticité et comme l’état signalétique de la Philosophie. L’analyse exacte de ces problèmes reviendra à fonder l’histoire de la Philosophie.

Si les historiens avaient présentement la moindre idée de ce qu’est un homme, ils prendraient pour une simple mystification une déclaration comme celle-ci :

« Et comprenons que si Descartes continue Montaigne, c’est comme Kant a continué Hume, en lui répondant. Vie intérieure et vie spirituelle dérivent du Cogito. Mais dans le Cogito, il y a l’Ego et la Cogitatio, le moi et la pensée. Le problème sera de savoir sur quoi portera la réflexion. Ce pourrait être uniquement sur le moi considéré comme un individu et dont la pensée serait une propriété au même titre que la digestion et la respiration. Ainsi l’entendra la psychologie toute empirique, toute subjective de Locke ou de Condillac, et il est visible que la sociologie d’un de Bonald ou d’un Auguste Comte se borne à prendre le contrepied de l’individualisme psychologique. Mais le cartésianisme véritable passe bien au-dessus d’une alternative aussi superficielle. Chez le fondateur de l’analyse mathématique, l’élément dominant