Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant la Philosophie contemple une Idée de l’Homme et elle pose et résout un certain nombre de questions à son sujet, mais non au sujet de tel homme particulier qui existe et qui doit manger. Par exemple la liberté est pour elle un enchaînement de concepts, ou une approbation de la durée la plus secrète. Mais que diront de ces jeux les hommes qui travaillent à la chaîne, pour qui la liberté n’est rien que la dramatique conquête de tout ce qu’ils n’ont pas ?

La Philosophie va-t-elle demeurer longtemps encore un ouvrage de dames, une broderie de vieille fille stérile ? La Revue de Métaphysique et de Morale rivalisera-t-elle toujours avec la Femme chez Elle, la maison Alcan avec les Éditions Tedesco ?

On peut avancer qu’il existe deux espèces de Philosophie. Ou mieux qu’il y a deux genres de méditations qui sont l’une et l’autre embrassées par convention sous le terme unique de Philosophie. Il faut prendre provisoirement cette unité verbale comme un fait, sans délibérer sur sa légitimité et sur la question de droit. Il y a ces deux espèces de méditations parce qu’il y a deux séries de questions posées à l’homme qui a pour fonction de répondre aux interrogations les plus générales : la première concerne la connaissance du monde, la seconde l’existence des hommes. Une philosophie prolonge et commente la science, une philosophie traite les problèmes qui intéressent la position des hommes par rapport au monde et à eux-mêmes.

La première philosophie a une tâche d’abord claire, ou qu’il est possible de regarder comme claire, bien que de son fonctionnement découle