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envers des hommes : les uns possèdent donc des motifs de sentir que le monde est confortable, les autres n’arrivent point à s’y accoutumer. Les premiers se conforment au monde et ne voient point de raisons de le changer, ils n’aiment point les seconds qui n’acceptent pas le monde comme il va et veulent le changer. C’est pourquoi M. Brunschvicg n’aime pas Marx.

On ne fera jamais croire à personne qu’il suffise en tout temps, pour s’adapter au monde, de le regarder et de l’interpréter comme il faut. Cela exige un Dieu tout puissant, maître d’une sagesse sans défauts et quelque table des rétributions et des restitutions éternelles : il ne fallait pas se passer de Dieu si l’on voulait faire croire que l’opinion relève de la liberté du jugement, ou que la liberté naît de l’opinion droite. Je n’aime pas la Philosophie des écraseurs parce que je me suis senti écrasé : l’adaptation à l’écrasement me paraît bien moins un succès de je ne sais quel pouvoir intérieur de juger librement qu’une mutilation de la vie. Il a toujours paru plus facile à l’oppresseur qu’à l’opprimé de s’adapter à l’oppression.

Les philosophes qui sont confortables estiment que le progrès humain est arrivé à son terme ou est en bon chemin. Ils se croisent les bras et ils s’installent dans la paix du dimanche. Plus de travail sur la planche. Ils méditent dans le repos du septième jour. Tout n’est-il pas fait ? Les ancêtres n’ont-ils disposé le monde aux mieux des hommes ? Il ne reste plus que des compléments, que des embellissements, que la dernière main à mettre.

Mais pour quelques-uns déjà parmi les hommes, le dimanche n’est pas arrivé, ils ne connaissent pas cet apaisement qui suit les créations, ils voient tout ce travail qui n’est pas fait. Je trouve que le travail n’est pas fait. M. Lalande trouve que si. M. Bouglé, M. Thamin sont assis dans