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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/75

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produit à partir de ces relations un ensemble de préceptes, de jugements, de concepts juridiques et moraux. Un jeune bourgeois qui se prépare aux fonctions spirituelles puise autour de lui cette abondante production. Il les puise sans y même penser. Elles se déposent en lui. Il n’y a point pris garde. Les premiers efforts de sa réflexion technique trouvent cette matière et s’exercent sur elle. Il ne la met pas en doute. Il n’a aucune raison de la mettre en doute. Elle lui paraît à la lettre une production intérieure, naturelle, comme sa respiration. Il la regarde comme sa nature. Il l’accepte comme sa vie. Il a bien des chances de l’aimer comme elle. Il croit en elle. Il la regarde comme l’ensemble des créations spontanées de sa personne.[1]

Mais tout homme veut être assuré que ces productions sont inébranlables. Il leur cherche des garanties. Il les veut affermir contre tous les assauts. Toute affirmation conduit à une certaine dialectique, du moment que l’homme forme le souci de se persuader et de persuader autrui. Les idées s’affermissent au cours d’un dialogue imaginaire. Toute cette marche est assez décrite depuis Platon. M. Bouglé par exemple écrit :

« Il y aurait lieu de distinguer entre les obligations et les justifications. Il y a d’un côté les actes moraux et d’un autre côté le raisonnement justificatif. De ces justifications, le besoin est très inégalement ressenti : les raisonnements justificatifs ne prennent pas les mêmes formes suivant les individus, cela va de soi, et suivant les moments de la vie sociale. J’admettrais volontiers que pour certains esprits, il existe en effet un besoin de rationaliser la conduite et que pour qu’ils continuent à vivre avec la conscience tranquille, il faut qu’ils soient capa-

  1. Cf. note J.