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construire l’univers de la vérité et l’univers de la justice. »[1]

Il est clair que l’intérêt propre du clerc consiste à poursuivre en paix sa méditation comme celui de l’industriel vise à produire des marchandises en étant arrêté par le plus petit nombre possible de conflits. Le travail spirituel exige des conditions de tranquillité capables d’assurer un déroulement pacifique au mouvement progressif des idées. Les travaux spirituels paraissent particulièrement importants à des intellectuels orgueilleux de leur mission : ces opérations, ils les regardent eux-mêmes avec un certain sentiment religieux, comme des exercices qui méritent d’être protégés et garantis. Le régime social qui leur paraît spécialement heureux est celui où leur pensée est en mesure de se poursuivre sans accidents extérieurs à elle-même. L’État le meilleur est celui qui, du même coup, sanctionne leur situation bourgeoise et assure à leurs méditations des conditions de loisir, de silence, et de sérénité, celui enfin qui autorise et favorise une certaine sécession.

Les conclusions, les démarches, les attitudes mêmes de cette philosophie la réservent au service de la bourgeoisie. Elle ne peut servir que des bourgeois, elle ne peut être embrassée que par eux, elle ne peut satisfaire qu’eux. En dépit de ses apparences, de ces grands airs d’absence et de distance qu’elle sut prendre, elle est uniquement plongée dans l’actualité de la satisfaction passive qu’un bourgeois éprouve lorsqu’il se contemple. Elle n’est jamais atteinte par le désir de se transformer, de renoncer à ce qu’elle est. Elle se trouve bonne, comme la bourgeoisie se

  1. Cf. note K.