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NOA NOA

au genou, les lèvres enflées de colère, seule au moins depuis cinq minutes, au moins pour cinq minutes encore, boude, sans que nul ni elle-même sache pourquoi, peut-être pour le plaisir.

L’heure de la sieste a passé, l’heure d’incendie, l’heure morte.

Le crépuscule vite tombe, et de partout sourd une agitation d’immense volière, dans les demi-ténèbres que la lune cisèle.

On va chanter, on va danser.

Les hommes s’accroupissent au pied des arbres. Les femmes, dans l’espace libre, comme dévêtues de blanc, remuent en cadence leurs jambes solides, leurs fortes épaules, leurs hanches et leurs seins, et les dernières lueurs du jour et les premières lueurs de la lune les poursuivent. La voix des hommes — orchestre de ce ballet — est monotone, grave, presque triste. Il se mêle des frémissements de peur aux trémoussements des femmes et à leur mimique invitant l’amour, qui va venir avec la nuit — avec la nuit tragique, où le démon des morts veille et rode, et tout à l’heure se dressera, les lèvres blêmes et les yeux phosphorescents, près de la couche où les fillettes tôt nubiles ne dorment point paisibles, parce que les défunts reviennent — défunts amants ou défunts dieux.