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NOA NOA

vérité ? L’intensité de l’effroi qui la possédait, sous l’empire physique et moral de ses superstitions, faisait d’elle un être si étranger au moi, si différent de tout ce que j’avais pu voir encore !

Enfin elle revint à elle, m’appela, et je m’évertuai à la raisonner, à la rassurer, à lui rendre confiance.

Elle m’écoutait, boudeuse, puis avec une voix oû les sanglots tremblaient :

— Ne me laisse plus seule ainsi, sans lumière…

Mais, la peur à peine endormie, la jalousie s’éveille :

— Qu’as-tu fait à la ville ? Tu es allé voir des femmes, de celles qui vont au marché boire et danser, et qui se donnent aux officiers, aux matelots, à tout le monde…

Je ne me prêtai pas à la querelle, et cette nuit fut douce, une douce et ardente nuit, une nuit des tropiques.

Téhura était tantôt très sage et très aimante, tantôt très folle et très frivole. Deux être contraires — sans compter beaucoup d’autres, indéfiniment variés — en un, qui se démentaient mutuellement et se succédaient à l’improviste avec la plus étourdissante rapidité. Elle n’était pas changeante, elle était double, et triple, et multiple : l’enfant d’une race vieille..

Un jour, l’éternel juif-colporteur — il écume les îles comme