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NOA NOA

ce ruisseau, fréquemment accidenté de véritables cascades, un semblant de chemin à travers des arbres pèle-mêle, arbres à pain, arbres de fer, pandanus, bouraos, cocotiers, hibiscus, goyaviers, fougères monstrueuses, toute une végétation folle et s’ensauvageant toujours davantage, s’emmêlant, se nouant, en un fouillis toujours plus inextricable à mesure qu’on remonte vers le centre de l’Île.

Nous allions, tous les deux nus, avec le paréo blanc et bien à la ceinture, la hache à la main, traversant maintes fois le ruisseau pour profiter d’un bout de sentier que mon guide semblait percevoir par l’odorat plutôt que par la vue, tant les herbes, les feuilles et les fleurs, en s’emparant de l’espace, jetaient sur le sol de splendide confusion.

Le silence était complet, en dépit du bruit plaintif de l’eau dans les rochers, un bruit monotone, une plainte si douce, si faible, — accompagnement de silence.

Et dans cette forêt, dans cette solitude, dans ce silence, nous étions deux, — lui, un tout jeune homme, et moi, presque un vieillard, l’âme défleurie de tant d’illusions, le corps lassé de tant d’efforts, et cette longue, et cette fatale hérédité des vices d’une société moralement et physiquement malade !

Il marchait devant moi, dans la souplesse animale de ses formes gracieuses d’androgyne. Et je croyais voir en lui s’incarner, palpiter, vivre toute cette splendeur végétale dont