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Page:Noailles-le-livre-de-ma-vie-adolescence-1931.djvu/1

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LE LIVRE DE MA VIE


ADOLESCENCE

J’allais avoir quinze ans, quand le désordre et la liberté penétrèrent dans ma vie à la suite de la pleurésie grave qui venait d’affecter la santé de ma sœur. Affligée, précipitée dans le désarroi par les opinions médicales contradictoires, ma mère ne cessait de pleurer furtivement. Sa détresse nous gagnait et nous consternait. Tel médecin, consciencieux, affirmait que l’hiver de Paris, qui nous était habituel, ne saurait être nuisible à ma sœur ; tel autre, aussi loyal, proclamait que la tiédeur du Midi pouvait seule remédier à son état de consomption. Notre demeure fut ainsi livrée à l’indécision. Raisonnablement, l’opinion du spécialiste anxieux l’emporta sur celle de l’optimiste. Il fut décidé que ma sœur et moi, accompagnées de notre institutrice extravagante et d’une femme de charge que sa pesanteur et sa modération flamandes nous rendaient plus chère, partirions pour Monte-Carlo. Nous devions y précéder de peu l’arrivée de ma mère et de notre indispensable ami, M. Dessus. Le septuagénaire irritable, dévot et crédule avec violence, de la même manière que ses contemporains l’avaient connu voltairien, était prêt à tous les sacrifices pour soutenir par sa gaîté drue, sa bonhomie brutale, laquelle envers une enfant souffrante se montrait soudain galante, ma sœur affaiblie, au visage soucieux. Chez ma sœur, peu de semaines avaient suffi à transformer la hardiesse de jeune garçon qui la caractérisait en une mélancolie inquiète, dont était responsable, non seu-