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Page:Noailles-le-livre-de-ma-vie-adolescence-1931.djvu/25

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adolescence

hermétique, jaloux et méprisant : « Il faut être du bàtiment… » Aux heures de son inspiration musicale, il semblait couronné invisiblement, dans l’altitude aérienne, par le chant des anges de Parsifal.

Ma sœur et moi nous le contemplions avec cette jubilation qu’on éprouve à considérer qui règne dans le domaine de la pensée et dispense la sécurité avec le plaisir. Perpétuellement visité par cette chance que l’on appelle l’esprit, le prince de Polignac était néanmoins voué à la ferveur, à cette sorte de religion de l’exquis à laquelle il devait de n’être étranger à aucun sentiment. J’entendis ce sceptique définir par ces mots émouvants la vénération que lui inspirait le sacrifice de Ia Messe : « J’aime, en la religion catholique, ce qu’elle a d’argent et de violet… » Il est vrai que les préceptes de l’Église béatement adoptés pouvaient aussi l’irriter, et s’il entendait prononcer avec trop d’obséquiosité envers les mystères célestes ces mots : « le bon Dieu », — « Pourquoi bon ? » répliquait-il, avec brusquerie, apitoyé soudain sur l’infinité de la souffrance humaine.

À Amphion, nous le voyions, en octobre, avant l’heure du déjeuner, arpenter l’allée des platanes, bâtie sur le lac, et, dans le tourbillon des feuilles tombantes, attachées toutes deux à ses pas, nous écoutions respectueusement cette voix au rire amer et enchanté, d’où découlait la sagesse comme la fantaisie charmée. Sans âge, eût-on dit, et par là même à l’apogée persistant de sa vie, il avait pris part activement à la campagne électorale nancéenne de Maurice Barrès, tout jeune homme, dont le nom, alors, ne retint pas mon attention. Le seul livre que j’avais lu, à quinze ans, de ce futur ami de génie, Le Jardin de Bérénice, m’avait laissée, comme il convenait, ignorante de ses grâces libertines. J’appris plus tard aussi ses mésaventures heureuses : le nom de « la petite Descousse », jeune Arlésienne présentée à Barrès par l’aubergiste méridional, était devenu, par la faute des typographes et au grand amusement de l’auteur, qui maintint les syllabes erronées, Petite Secousse. J’ignorais la célébrité qu’avait déjà le jeune Maurice Barrès, mais je riais du récit que nous faisait le prince de Polignac d’une manifestation politique en Lorraine, où la sonorité de Polignac avait fait jaillir