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LA DOMINATION

raisons, initiale, finale, profonde… Ai-je dit, reprenait-il, que j’étais triste sans raisons ? Non, Martin, tout m’est une raison de tristesse. À peine au centre de ma vie, j’en vois déjà le néant, et j’en prévois le déclin. Martin, si tu rapproches et entasses les plus belles victoires, l’azur du golfe de Naples, la jeunesse et la musique, tu n’atteindras point encore à ce qu’est mon ambition, ou plutôt mon élan, mon ardeur à vivre ! L’univers est pour moi différent de ce qu’il apparaît aux autres hommes : les plus hautes montagnes me sont des collines que mon esprit franchit aisément ; les villes des villages, et l’espace un étroit jardin. Par moments, ayant dépassé toutes les formes et tous les contours, je contemple le royaume immense et blanc de la folie… Martin, que fait-on sur la terre ? même si on avait le bonheur, on ne voudrait pas le continuer. Il faut la vie ascendante, et qui