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LA DOMINATION

Mais Antoine l’arrêta :

— Laisse, Martin. Il faut que l’on soit malheureux, ou, si tu veux, subtilement malade, vous n’y pouvez rien. L’esprit a ses raisons que la science ne connaît pas. Je vais te dire mon malaise : je pense, et, généralement, on ne pense point. Vois les êtres vivre. Ils passent doucement de la force à la sénilité, ils étaient des hommes, ils sont des vieillards. Ils n’ont point réfléchi, et ce passage s’est opéré insensiblement. Mais, pour celui qui se regarde et se voit, quels sujets d’impuissante détresse, d’infinies lamentations ! Ah ! Martin, un jour viendra, — un jour proche déjà — où, lisant comme à mon ordinaire, je sentirai que ma vue est changée. Je ne comprendrai pas d’abord ; je me lèverai, je m’approcherai de la fenêtre, de la lumière ; mais, bientôt je m’apercevrai que l’obscurité est en moi, que la destruction lentement s’est