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LA DOMINATION

Antoine la regardait. Dans ce salon, déjà les voiles du crépuscule lui dissimulaient ce visage. Elle bougeait avec ses gestes d’autrefois. Quand l’alcool de la bouilloire lança une flamme trop haute, elle eut peur et pressa ses mains contre ses tempes, jeta un cri léger. Antoine songeait :

« Huit années ! Combien de fois, errant au milieu des jeunes hommes, pendant les nuits de Venise, n’avait-elle pas appelé l’amour ? Combien de fois, couchée dans les barques noires, pendant ces voluptueuses nuits, avait-elle pleuré tendrement, les deux mains entassées sur son cœur, douce Vénus qui signale le lieu de son soupir !

Combien avait-elle eu d’amis ?…

Alors il se souvint.

Il se souvint qu’elle avait à son bonheur, à son plaisir servi ; que sous sa robe gonflée, soyeuse, lâche et serrée elle était un corps où il avait marqué sa joie. Il se souvint du