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ÉBLOUISSEMENT

C’est le cri des félins, par l’écho répété,
C’est l’inimaginable et meurtrier été,
C’est la rage divine et l’écume de l’âme… »
Et j’étendais ma main pour toucher cette flamme.

— Aujourd’hui, le cœur las et blessé par le feu,
Je vous bénis encor, ô brasier jaune et bleu,
Exaltant univers dont chaque élan m’enivre !
Mourante, je dirai qu’il faut jouir et vivre,
Que, malgré la langueur d’un corps triste et brûlant
La nuit est généreuse et le jour succulent ;
Que les larmes, les cris, la douleur, l’agonie
Ne peuvent pas ternir l’allégresse infinie !
Qu’un moment du désir, qu’un moment de l’été,
Contiennent la suave et chaude éternité.
Ô sol humide et noir d’où jaillit la jacinthe !
Qu’importe si dans l’âpre et ténébreuse enceinte
Les morts sont étendus froids et silencieux ;
Ô beauté des tombeaux sous la douceur des cieux !
Marbres posés ainsi que des bornes plaintives,
Rochers mystérieux des incertaines rives,
Horizontale porte accédant à la nuit,
Ô débris du vaisseau, épave qui reluit,
Comme vous célébrez la joie et l’abondance,
La force du plaisir, l’audace de la danse,
L’universelle arène aux lumineux gradins !…
— Et quelquefois, parmi les funèbres jardins,
Je crois voir, ses pieds nus appuyés sur les tombes,
Un Eros souriant qui nourrit des colombes…