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LA SAVOIE

La lune doucement dans le ciel arrivait ;
On voyait luire au loin les jardins de Vevey,
Les jardins de Clarens ombragés par les vignes ;
Les flots contre les quais faisaient trembler des cygnes.
Un romanesque ardent émanait de cette eau
Comme au temps de Byron, comme au temps de Rousseau.
Près de moi s’envolaient des roitelets, des grives ;
De paisibles pêcheurs, sur les moelleuses rives,
Dans les vapeurs du soir renouaient leurs filets.
Les hameaux embaumaient la fumée et le lait.
Brusquement les grillons emplissaient la prairie.
C’était une sublime, immense rêverie…
– Soir des lacs, bercement des flots, rose coteau,
Village qu’éveillait le remous d’un bateau,
Petits couvents voilés par des aristoloches,
Senteur des ronciers bleus, matin frais, voix des cloches,
Voix céleste au-dessus des troupeaux, voix qui dit:
« Il est pour les agneaux de luisants paradis »,
Porte ouverte soudain sur un doux monastère
Où la Clarisse en feu, qui ratisse la terre,
Arrose le rosier et vient nourrir le paon,
Semble être la rustique épouse du dieu Pan;
Barque passant le soir en croisant ses deux voiles
Comme un ange attendri courbé sous les étoiles,
C’est vous qui m’avez fait ce cœur triste et profond,
Si sensible, si chaud que l’univers y fond !
– Pays mystérieux, abondant, doux et tendre
Comme unconte enchanté qu’on veut toujours entendre,
Moi qui ne peux pas croire aux promesses des cieux,