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LA MAISON DE SYLVIE A CHANTILLY

Si vous vouliez venir je vous reconnaîtrais.
Venez, je vous tendrais les bras, je vous dirais,
Rassurant de ma voix vos surprises extrêmes,
Des mots par qui les cœurs, en tout temps, sont les mêmes
Je parlerais du soir, des fleurs et de l’étang,
Du bonheur qui n’est plus, de celui qu’on attend,
Du printanier matin où le vert paysage
Semble appuyer sur nous son confiant visage ;
Des poètes qui font, par leur désir divin,
Notre passage ardent sur la terre, moins vain.
Vous sourirez alors, songeant à Théophile…
– Mais déjà, vers l’ouest, le soir vient sur la ville.
Vous êtes morte ; hélas ! je n’ai pas ce repos.
Un sang de rose pourpre erre autour de mes os ;
Le plaisir, plus semblable aux larmes qu’à la joie,
M’isole de langueur, me recouvre et me noie.
Ce qui n’est plus n’est plus, pour moi comme pour vous.
Tout mon jeune passé fait trembler mes genoux.
Et sous le vert arceau chargé de clématites,
Je songe au temps, Sylvie, où nous étions petites.
– Pourquoi voulais-je voir ta rêveuse maison
Qui m’emplit de soupirs, de peur, de pamoison,
De cette déchirante et perfide espérance
De retrouver enfin les bonheurs de l’enfance !
– Comme vous agissez sur notre cœur, soudain,
Humble terrasse avec des chaises de jardin…